Le 7 octobre 2008, un coup d’éclair jaillit sur Montréal quand elle apprend que son événement phare, le Grand Prix du Canada lui est retiré en faveur des villes du Sud. En 2009, une épreuve nouvelle de Formule 1 est prévue à Abou Dhabi et les dates de Montréal sont prises par le Grand Prix de Turquie à Istanbul. Istanbul continue son ascension en matière de ville internationale : capitale européenne de la culture en trinôme avec la plus grande ville d’Europe Essen et la ville hongroise Pècs en 2010, elle est en évolution positive pendant que d’autres villes ont des difficultés sur le plan sportif : le Grand Prix d’Australie donne une dette de 150 millions de dollars depuis 2 ans à Melbourne et l’Etat de Victoria. D’autres Grand Prix célèbres sont morts tels ceux de Buenos Aires, Estoril (Portugal), Imola et Bologne.
En même temps que Montréal, le retrait du Grand Prix de France, située près de Nevers, est lui aussi retiré du calendrier. La course française a, sauf en 1955, toujours été présente parmi les courses internationales. Le choc n’a pas lieu chez les français qui ne veulent plus financer ce projet coûteux. Ils sont invités à proposer un autre site plus prestigieux que Nevers. Disneyland semble favori pour 2011, ce qui renforcerait le rayonnement parisien.
Ce qui est étonnant, c’est la différence de réaction entre la France et le Québec pour une même situation.
Déroulement de la perte du Grand Prix
Depuis 1967, le Grand Prix du Canada fait partie des courses considérée comme championnat du Monde et c’est seulement depuis 1978 que la course se tient à Montréal (auparavant elle était Bowmanville en Ontario).
Le 22 octobre 2008, le maire et deux ministres québécois et canadiens s’envolent pour Londres afin de négocier la dizaine ou vingtaine de millions qui manquerait pour l’organisation de l’événement. Face à eux, Bernie Ecclestone, décrit comme un « grand manitou », « redoutable négociateur », « homme d’affaire habile », « tête de cochon », « monstre affamé », « vieux grigou » avec des photos peu flatteuses… la presse montréalaise le résume à un commercial qui fait de l’argent et rien d’autre. L’homme d’affaire essaierait de récupérer le maximum d’argent dans cette rencontre, penchant simplement en faveur de la ville la plus offrante. « D’une humeur maussade […] Il s’est engouffré dans ses bureaux sans se retourner ». Tout est fait pour le diaboliser. La photo du journal La presse le jour de l’annonce finale le 17 novembre est éloquente. La Une titre : « L’insatiable Ecclestone. Montréal perd son Grand Prix ».
Au départ de cette affaire, B. Ecclestone justifie l’abandon de Montréal par des dettes impayées de promoteurs locaux depuis 3 ans. Et ce dans un contexte ou la Formule 1 est en crise et cherche de l’argent, en ce sens, elle fait appel au plus offrant. Sur les 175 millions de dollars que réclamme B. Ecclestone, les pouvoirs publics (Montréal, province du Québec, nation du Canada) ne proposent que 110 millions de dollars.
Pourtant des efforts ont été fait puisqu’un paddock de 4,5 millions $ a été financé par les pouvoirs publics canadiens et l’office de tourisme de Montréal en 2008 après que B. Ecclestone ait critiqué la décrépitude des installations du circuit Villeneuve.
Mais les écuries sont attachées à l’épreuve, d’autant que c’est la seule vitrine nord-américaine pour Toyota, BMW, Honda, Ferrari et Mercedes. Outre les salons de l’automobile de Détroit et de Montréal qui ont lieu en 2009 en même temps (! – au détriment de Montréal puisque Détroit est le siège des 3 entreprises automobiles américaines), les marques d’automobile ont peu l’occasion de montrer leur puissance et faire rêver le consommateur.
Mais selon B. Ecclestone, les médias sont mondiaux et une course à Istanbul se voit aussi à Montréal, même si les contrats pendant la course peuvent se jouer en Amérique du Nord.
Face à la demande de rallonge financière, les pouvoirs publics locaux ne sont pas sûrs de soutenir l’événement car ils veulent être sûrs des retombées économiques. Les chiffres circulent : 15 millions de dollars de retombées directes (billets, pubicités…), 75 à 100 millions de retombées fiscales pour le pays et la province selon les années.
La rue Crescent est le centre névralgique de l’événement. Ses commerçants ont proposé, croyant peu aux capacités des politiques de Montréal, une aide financière pour conserver la course. Déjà en 2003, le Grand Prix était menacé et les commerçants avaient amassé 200 000 $ pour sauver l’épreuve canadienne.
Le ministre Michael Fortier a avancé les arguments de la garantie de gradins pleins comme chaque année au sein d’un marché de l’automobile solide, tandis que la population des nouvelles villes d’accueil (« Chine ou Barheïn ») sont indifférentes aux courses de Formule 1.
Une semaine après la rencontre londonienne, deux pistes de financement privées sont annoncées sous forme de rumeur : le propriétaire du club de hockey de Montréal George Gillett et l’homme d’affaire Guy Laliberté, la fierté québécoise avec son cirque du soleil. Ce dernier aime le Grand Prix et a l’habitude de donner de somptueuses réceptions dans sa villa pendant l’événement. Il est un ami de B. Ecclestone et ce dernier avait par le passé proposé à G. Laliberté d’organiser le Grand Prix à Las Vegas.
Au fil des jours, avant le couperet fatal, les acteurs touristiques de l’ensemble du Québec sont mobilisés à travers la presse et la rivalité métropole/ région est atténuée, chacun étant conscient de l’apport de l’événement sur le plan économique.
Les québécois, plus frileux par ses temps de crise économique, sont 77% à refuser que les pouvoirs publics paient une rallonge financière. Les 30 millions de dollars annuel à mettre sur la table sont alors récupérés par tous les acteurs qui imaginent de nouvelles pistes avec d’autres priorités que le sport. D’autant qu’il n’est pas prouvé que la course automobile draine tant de personnes à Montréal. Peut-être que ceux qui sont dans la ville au moment du Grand Prix le serait tout autant sans la course. Difficile d’évaluer l’impact des grands événements.
Lorsque les pouvoirs publics refusent d’être les promoteurs de l’événement, la question du financeur se pose. Est donc envisagée une forme nouvelle que pourrait prendre l’entité porteuse de l’événement. Un OSBL (organisme sans but lucratif) pourrait être créé, comme c’est déjà le cas pour le festival du Jazz et le festival Juste pour rire, les deux autres vecteurs de l’image événementiel de la ville.
Le dénouement a lieu le 16 novembre. Changement d’ambiance de la part de la presse qui critiquait l’incapacité des politiques. La Presse analyse la situation comme une « sage décision » puisque « La voracité de Bernie Ecclestone nous a fait épargner 50 millions ». Tout à coup, la sanction devient une bonne piste : « On comprend pourquoi Guy Laliberté et George Gillett ont refusé d’embarquer dans ce piège à cons ». Pour conserver leur grandeur et refuser le déclin symbolique, les sous-titres appuient l’idée que « La France et le Canada, deux membres du G8, disent non à Ecclestone ».
Les pertes financières via l’événement sont finalement estimées à 75-80 millions de dollars par an. Les commerçants de la rue Crescent sont particulièrement déçus, notamment l’un des restaurant qui était le fief de la formule 1.
Quelques jours après, certains commerçants tentent encore quelques sauvetages en sollicitant la population montréalaise à s’impliquer (financièrement ?) et en demandant aux constructeurs automobiles de faire du lobbying auprès de B. Ecclestone. Avec une perte de 15 à 20% de leur chiffre d’affaire, les commerçants de la rue Peel et Crescent sont prêt à tout pour conserver les quelques 500 000 visiteurs qui viennent dans leur rue à chaque course dont 35 000 de l’extérieur. Mais c’est trop tard, les pouvoirs public ont tranché.
Cette nouvelle apparaît comme la confirmation du lent déclin de Montréal dans la hiérarchie des villes canadiennes et mondiales. La visibilité de l’événement rivait tout de même 300 millions de téléspectateurs sur Montréal. Pendant ce temps, Toronto poursuit son ascension, en réouvrant son Art Gallery museum (novembre 2008) dessiné par Franck Guerry, et Vancouver se prépare à recevoir les JO d’hiver de 2010. Montréal number one, déjà dépasser par Toronto, va-t-elle devenir la troisième métropole caadienne ?
Quel nouvel événement ?
Le journaliste Réjean Tremblay insiste sur le deuil du plus grand événement pour Montréal, le plus lucratif aussi, « celui qui permettait à Montréal de rester dans le club select des métropoles de la Formule 1 avec Barcelone, Melbourne, Sao Paulo, Budapest, Singapore, Shangaï, Istanbul » (La Presse, 17 nov 08, p.3). En ce jour de défaite pour Montréal, le discours de la presse devient justifiant : il vaut mieux perdre le Grand Prix car l’opération n’est pas viable. Depuis 3 ans, les montréalais étaient déficitaire et l’an passé 10 millions d’euros ont été engloutis et devront être remboursé par le contribuable.
Les acteurs montréalais s’inquiètent aussi de l’après 2011 car même s’ils avaient réussi à sauver le Grand Prix sur un contrat de 3 ans, ils estiment qu’ils n’auraient pas pu être en concurrence financière face au « Dubaï et Shangaï de ce monde » (La Presse du 3 nov. 2008).
Il faut donc réfléchir à un autre événement d’ampleur internationale, ce que confirme le maire Tremblay le 16 novembre quand il s’inquiète de la perte de visibilité de sa ville et souhaite mobiliser des fonds pour un nouvel événement.
C’est l’occasion pour le chef de l’opposition montréalaise de relancer la candidature à l’Exposition universelle 2020. Depuis plusieurs semaines, il insiste pour proposer ce projet et ainsi faire mieux qu’Expo 67, l’événement qui a propulsé la ville au rang des métropoles internationales et qui suscite tant de nostalgie locale. Terre des hommes est symboliquement gravé comme le début de l’ascension montréalaise encouragée 9 ans plus tard par l’accueil des Jeux Olympiques d’été.
L’argument de l’opposition et de son chef de file Benoît Labonté, maire du quartier Ville-Marie, est le complet contrôle de l’Expo 2020 par les pouvoirs locaux, sans la dépendance d’anglais sans scrupules.
Autre proposition qui semble plus probable, c’est l’organisation d’une course Nascar pour occuper la piste. C’est une activité sportive qui plaît beaucoup aux états-uniens, même si le prestige est moins fort et surtout les retombées moindres. Après les JO et les championnats du monde de Foot, la F1 est l’événement le plus lucratif, or le NASCAR n’amènera pas de population aussi sophistiquée et dépensière. En plus, la course ferait alors concurrence à celle d’Indiannapolis, une référence en la matière.
Pour conserver la même clientèle, la mode, le cinéma ou plusieurs manifestations par an semblent être les seules pistes pour conserver les mêmes apports financiers. Les événements culturels sont assez nombreux dans la ville et il est possible qu’une quête sportive soit un meilleur choix (tennis ou natation) mais il reste à convaincre de nouveaux partenaires à bien vouloir venir à Montréal.