Les acteurs économiques sont l’une des cibles privilégiées pour les territoires qui font du marketing urbain. Dans les discours des années 1980, les décideurs économiques sont en attente de trois facteurs déterminant pour vouloir s’implanter quelque part : être dans une ville carrefour ; qui s’affirme sur le champ de la recherche ou des techniques de pointe ; et qui est une capitale sectorielle. L’idéologie du technopôle est bien présente, tout comme les valeurs de modernité et d’innovation.
- En 1985, réalisée par un institut de sondage, une étude d’image de Nancy auprès des acteurs économiques l’assimile aux bassins sidérurgiques en crise et à une qualité de vie médiocre à cause d’un climat peu propice et d’une accessibilité améliorable notamment car la ville n’a pas d’aéroport international. Ses universités et grandes écoles sont méconnues et sans prestige, peut-être parce que l’absence d’un pôle technologique ne donne pas un rayonnement européen nécessaire pour une ville de cette taille.
- En 1987, via le même institut, une autre étude d’image montre une modification radicale. La crise lorraine est perçue comme un facteur de dynamique locale d’une ville idéalement située au sein du grand marché européen de 1992. Le statut de métropole intellectuelle et de ville d’art s’affirme, tout comme son pôle technologique Nancy-Brabois Innovation qui est favorablement apprécié, notamment grâce au salaire urbain proposé, c’est-à-dire les avantages urbains existants dans un contexte spatial économique et culturel favorable, aussi bien pour les travailleurs que leur famille.
Entre ces deux périodes, la promotion de la ville a créé le concept « Nancy, un style de ville », expression des caractères historiques prestigieux mêlés à l’innovation souhaitée du parc Nancy-Brabois-Innovation. Mais on peut se poser la question d’une évolution si rapide de l’image de la ville.
- En 1984, réalisée par un cabinet de consultant, l’étude d’image de Rennes auprès des entrepreneurs et hauts fonctionnaires de la région parisienne montre quatre constats : Rennes n’est pas la Bretagne ; elle est absente des médias nationaux ; elle a un rayonnement régional ; c’est un tissu économique, scientifique, culturel, complexe et indissociable.
Rennes est à ce point absente de l’univers mental des interviewés qu’ils sont amenés à en parler par déduction et réminiscence scolaire. Leur discours est théorique et déductif. Ville administrative éloignée des centres d’activités en Europe, son dynamisme est davantage déduit qu’affirmé si l’on excepte Citroën qui est plutôt bien identifié.
- En 1986, une enquête menée par la Jeune chambre économique auprès des Présidents d’organismes publics et économiques (sur les 1000 enquêtés, 179 ont répondu dont un seul de la région parisienne) de nombreuses réponses sans opinion émergent et concluent à l’absence d’image de Rennes. La ville est perçue à 82% comme une ville universitaire, 77% comme une ville administrative, 56% comme une ville culturelle, 46% comme une ville industrielle. Parmi les activités citées, Citroën est 80 fois citées (sur 179), les universités 61 fois et Ouest-France, 60 fois. Le domaine scientifique n’est cité que par 47 personnes dont les télécom cités 12 fois. A la dernière question « quelle images de Rennes avez-vous ? », le plus fort taux de réponses (133) ne permet de dessiner aucune tendance.
- En 1988, les opérations de communication et le slogan « Rennes bouge, bougez » semblent avoir portées leurs fruits puisque la ville est qualifiée positivement dans la seconde enquête du même cabinet de consultant. Comme le précise Albert du Roy, directeur de la rédaction du magazine L’Expansion, venu à Rennes pour animer un dîner-débat sur le thème Rennes dans la compétition européenne, « il n’y a pas de fatalité. Rennes semblait être la capitale d’une région attardée, se dépeuplant dont le seul atout est l’air tonique favorable aux enfants maladifs. Et subitement, les observateurs découvrent le contraire. Ils constatent que Rennes est une ville d’avant-garde, où il y a des industries de haute technologie, de la recherche… Elle devient symbole de modernité. C’est le résultat d’efforts effectués depuis de nombreuses années. Il fallait en avoir la volonté » (Ouest-France du 12 janvier 1989).
Dans l’étude de 1988, avec une population estimée entre 200 000 et 300 000 habitants, la ville est perçue comme l’une des plus actives de France, mais aucune information précise n’est mentionnée (les interviewés parlent d’un tissu de pme, d’agroalimentaire, de grandes écoles, sous forme de suppositions propres à toutes les grandes villes). La référence aux administrations décentralisées tendrait à montrer une ville au dynamisme exogène. Cette référence à la ville d’Etat, plutôt inerte et soutenue par le pouvoir central, n’est pas une composante d’image favorable. Néanmoins, Rennes est pensée économiquement comme le seul point intéressant de la Bretagne, grâce à l’absence d’un passé industriel (au détriment de Nantes qui est moins bien perçue) et par sa proximité avec Paris (au détriment de Lorient, Brest et Lannion). Rennes est considérée comme le pôle urbain de l’Ouest à la fin des années 1980, en tant que ville active, en expansion et devant Nantes la discrète.
Les images de ces deux villes ont évolué bien soudainement, passant d’une image inexistante dans les milieux économiques à une image positive en ascension et qui va progresser. Il semble intéressant de comparer les baromètres d’image des villes au fil des changements d’agence qui réalisent ces études. On peut s’interroger sur l’évaluation rennaise faite quatre années après des actions mises en place par la municipalité, mais préconisée par le cabinet de consultants qui fait les études. Souvent, quand les villes font appel à de nouveaux évaluateurs, le portrait est plus alarmiste comme pour monter que la collectivité a besoin de l’aide du nouveau prestataire qui améliorera la situation savamment décrite. De même, pour légitimer les coûts publicitaires, les résultats d’image doivent être annoncés le plus rapidement possible et il n’est alors pas accepter que l’image soit un champ de latence qui évolue sur des temporalités qui dépassent le mandat politique.
En 2004, selon une étude d’opinion commanditée à un nouveau cabinet de consultant, dans le cadre de Nancy 2020, l’image externe de Nancy et du Grand Nancy redevient médiocre.
Nancy a une image neutre et sans consistance. Ce n’est pas que les Français en pensent du mal mais ils ne connaissent pas cette ville lointaine, considérée comme endormie, ennuyeuse et isolée. Qualifiée de belle et historique, bourgeoise, administrative et universitaire, en rivalité avec Metz, la ville reste éloignée géographiquement car sans TGV. Nancy est comparée à Caen, Dijon, Bourges ou Clermont-Ferrand, des villes qui ont tout autant d’images creuses. Auprès de la population qui a déjà pratiqué la ville ou qui vient de s’y installer, des qualificatifs nouveaux accompagnent Nancy : des habitants aimables, une vie abordable et sans stress, une ville sûre qui gagne à être connue malgré un climat froid et un déficit d'emplois, des dessertes insuffisantes, un plan de circulation compliqué et une esthétique urbaine hétérogène.
Pour positiver, les stigmates des villes industrielles de l’Est de la France semblent ne plus coller à la ville alors que les études antérieures restaient sur les idées de tristesse et de déprime sociale (dans l’étude de 2004, toutes les études précédentes sont résumées dans le même esprit de morosité). L’image extra-territoriale nancéenne n’est plus mauvaise mais elle est neutre. Tout reste à faire et l’image peut être construite sans chercher à inverser une tendance. Le champ du possible ne peut pas être plus ouvert.
Il est intéressant d’observer l’inquiétude des acteurs nancéens qui constatent avec effroi qu’ils ont un sacré travail à faire sur l’image d’une ville qui ne part de rien. Mais est-ce inquiétant quand la majorité des gens ne sait pas grand-chose de sa ville. Est-ce un handicap ?
Reste à savoir sur quoi va reposer la nouvelle image. Certains pôles d’excellence dans les milieux scientifiques, médicaux ou culturels peuvent faire valoir la ville mais où est la nouveauté par rapport aux autres métropoles françaises et européennes ?
L’image, pensée comme un atout d’attractivité mais aussi de rétention de population est absente, ce qui enferme la démographie nancéenne actuelle qui n’est pas des plus dynamiques. Les convictions sociales actuelles indiquent que les jeunes couples s’installent dans une ville selon principalement trois critères principaux : les possibilités d’emploi, la convivialité relationnelle et le dynamisme culturel. La magnificence de la place Stanislas répond peu à ces axes de développement.